À TOUTES CELLES QUE TU ES

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— On l’embarque.
Quand les images de la vie sont trop lentes, aussi belles soient-elles, on ne les voit pas. Si elles sont trop rapides, on ne les voit pas non plus.
Celles de ce jour-là défilent à un rythme effréné. Pourtant, quand ma mémoire pose le doigt dessus, leur contour ne s’estompe pas.

La petite main de Lili dans la mienne, je quitte le parloir. Des policiers m’interceptent. Ça va vite. On laisse mon père venir chercher sa petite fille. La déception dans son regard décuple ma rancune envers lui. Je ris jaune. Enfin ! Il avait raison quand, exaspéré, il levait les yeux au ciel : « Noémie, pourquoi tu ne peux pas ressembler un peu plus à ton frère ? » Médecin dans l’humanitaire, c’est plus gratifiant que chômeuse-criminelle-qui-a-fait-les-Beaux-Arts.
Plus que tout, c’est la force avec laquelle Lili, du haut de ses trois ans, s’agrippe à moi, qui va m’empêcher de manger pendant cinq jours.
La culpabilité est l’acide le plus puissant qui puisse nous ronger.
Dans la petite salle sans fenêtre, j’espère qu’on va juste m’interroger, qu’ils ne savent pas ce que je viens de faire, qu’en faisant la maligne, je vais m’en tirer.
Après quatre-vingt-seize heures de garde à vue pour association de malfaiteurs, je ne cherche pas à nier ou à inventer des histoires qui ne tiendraient pas. Mieux, je décharge mon petit ami, expliquant que c’est moi qui ai eu l’idée.
Qu’est-ce qu’on peut être conne quand on est amoureuse.
Je l’ai rencontré alors que Lili avait un an.
Sa principale source de revenus provenait du blanchiment d’argent. Je ne mettais pas le nez dans ses affaires, je profitais simplement d’un train de vie très confortable. C’est un type qui avait déjà connu la prison. Même si on ne vivait pas ensemble, il m’isolait de mes amis, de mon père. On aurait dit qu’il m’avait complètement déstructurée mais ça me convenait. Je croyais être dans une relation normale, avec un homme qui me disait « Il n’y a que moi qui peux t’aimer avec tes bourrelets ». J’ai vécu dans son ombre, c’était fort, et puis, récidiviste, il est tombé pour son trafic, et moi, j’ai été interrogée mais rien de plus. Ce matin-là, au bout d’un an à aller le voir au parloir, j’ai fait ce qu’il me demandait. Je ne me suis pas sentie forcée. Je ne me suis pas posé de questions. Il m’a annoncé qu’il voulait se faire la belle. Je lui ai fait passer du matériel pour s’évader, dont une arme et des explosifs.
Il y a quelques jours, je ne vivais que pour quémander un peu de sa considération ; la morsure du regret me laboure le cœur maintenant.
Avec lui, j’étais comme sous hypnose mais mon transfert en prison me réveille sec.

Clac clac. Le bruit de la porte qui s’ouvre et se referme résonne dans ma tête. Me voilà en cellule, loin d’imaginer ce qui m’attend, et lui n’a pas pu s’évader.