" L’année de mes six ans, je suis alléàl'école. Chez nous, la classe avait lieu de la Toussaint àPâques car le reste du temps les enfants aidaient leurs parents en gardant les bêtes aux champs. Au début, les filles n'étaient pas scolarisées. Ca m'arrangeait, car les filles petites, c’est plus méchant que les garçons. Longtemps le curéavait servi de maître, mais depuis peu à Bousiéyas il y avait un vrai instituteur.
Ma mère n'avait pas l'intention de m'envoyer àl'ecole, j'avais juste voulu accompagner Julien. Devant l'ancien presbytère transforméen salle de classe, le premier jour, se tenaient une dizaine de gamins d'âge divers. L'instituteur est sorti. C'était un homme jeune avec une petite moustache et des yeux gentils comme des yeux de chèvre, derrière ses petites lunettes de fer. Il a ordonnéaux enfants d’entrer et, comme je restais entre ma mère et Paola après avoir lâchéàregret la main de Julien, il s'est tournévers moi en disant :
— Et toi, tu ne viens pas ?
Ma mère a ébauchéune reponse genee.
— Vous savez bien Monsieur, lui !...
Il s'est pliésur ses genoux pour se mettre àma hauteur, m'a regardébien en face et m'a demandé:
— Tu veux venir ?
— Avec Julien, oui, Monsieur...et je suis rentré. "