dif cile de déterminer dans quelle mesure leur impoli- tesse était dirigée contre moi personnellement. » Redford s’inscrivit à un cours intensif d’histoire de France, qui lui permit de s’informer sur de Gaulle, la guerre d’Indochine, le con it qui se disputait en Algérie. «Ma découverte de la France pré-gaulliste, dit Redford, a marqué pour moi le début d’une conscience politique cohérente parce que j’ai dû m’appliquer à comprendre pourquoi il était si dif cile pour nous de nous y intégrer. Cela a aussi eu le mérite de m’inciter à revoir mon jugement sur l’Amérique. Je me suis mis à lire Walter Lippmann et Art Buchwald pour prendre davantage de recul sur la question. Et j’ai compris pour la première fois le rôle colossal que l’Amérique jouait partout dans le monde. À cause de l’in ation française incontrôlée et de la force du dollar, les Américains étaient comme des conquérants en visite. Et c’était ainsi dans de nombreuses régions du monde. On avait de l’in uence : via l’argent, la puissance militaire, le cinéma. On avait des moyens extraordinaires d’in uencer les autres cultures au xxe siècle. » 
Les cours aux beaux-arts ne commençant pas avant octobre, Redford et Brendlinger décidèrent de quitter Paris. Suivant le conseil d’un Allemand rencontré dans un club de jazz, ils mirent le cap sur Majorque. À Can Pastilla, au sud de Palma, pour 40 dollars, ils louèrent une villa mauresque appartenant à l’Église catholique1. Ils avaient vu sur la mer et étaient entourés de murs blancs drapés de bougainvilliers. Mais Redford nit par se lasser de ce merveilleux isolement. «Il passait toutes ces journées assis dans ces bistrots à ciel ouvert à dessiner les clients, se souvient Brendlinger. Et il ne choisissait que les visages tristes. Son travail, très émouvant et évocateur, m’a permis de découvrir une facette de sa personnalité que je ne connaissais pas. Ce n’était pas l’excentrique de la CU. C’était un gamin perturbé. » Brendlinger, qui avait perdu son père quand il était très jeune, se demandait si Redford n’avait pas du mal à accepter la mort de sa mère. «J’avais le sentiment qu’elle était le cœur de son estime de lui. Mais je crois que ça allait au-delà de ça. Il éprouvait un besoin créatif impérieux de s’évader, et ce besoin avait été réprimé. J’ai ni par comprendre que l’Europe était pour lui une question de vie ou de mort, secrètement. » «On parlait souvent du destin qu’on suivrait après nos études, du monde des affaires qui nous tuerait tous les deux. Bob parlait de son amour de l’art et se demandait où l’art et le cinéma trouvaient leur point d’intersec- tion. L’industrie du cinéma, nous semblait-il, offrait de nombreux avantages : voyages, longues périodes de repos entre deux jobs, etc. Bob était un gamin assez vaniteux, mais son ego n’était pas démesuré, il ne s’imaginait pas acteur. Je lui disais : “Pourquoi pas la comédie ?” Mais il ne pensait qu’à l’art. Je lui disais : “Quand tout ça sera  ni, on pourra retourner à LA et se faire une super vie en rusant pour nous faire une place dans l’industrie du cinéma”. Cette idée avait l’air de l’amuser. » Mais la seule chose qui intéressait Redford, à l’en croire, était d’intégrer les beaux-arts.