Prendre le chemin sans le savoir
Un matin, adolescente, je me réveille pour aller au lycée. Pendant que je m’habille, perchée sur la mezzanine, je me souviens m’être dit : je ne veux plus croire que ce que je vois, j’en ai assez des histoires que l’on me raconte. Je veux être sûre de ce à quoi je crois, j’ai besoin de choses claires. Je veux vivre avec des certitudes, pas avec des « on dit», des « peut-être » et des flous artistiques.
L’obsession du pourquoi
À vingt et un ans, je suis dans une grande détresse et je traverse des moments d’intenses questionnements. Ma vie m’apparaît comme une sorte de néant. Je meurs de soif et de manque de sens. Je ne l’énonce pas de cette façon, car je n’en suis pas vraiment consciente. Une quête est là, balbutiante, notamment au travers de premières lectures. J’ai beaucoup de « pourquoi ? » Je cherche des réponses et me sens prête à me remettre en cause, à tout remettre en cause. J’ai une véritable obsession de comprendre, de connaître. La question de la souffrance est au centre de tout. Pourquoi se fait-on souffrir les uns les autres ? Pourquoi n’arrive-t-on pas à être heureux ? Pourquoi l’injustice, la cruauté, la bêtise ? Quoi qu’il arrive, je me demande pourquoi cela arrive. Aujourd’hui encore, lorsque je regarde les mésanges de mon jardin, j’ai envie de prendre un livre pour comprendre leur vie, leurs couleurs, leurs ballets à la mangeoire. Comme certains chercheurs, j’ai la soif de comprendre vissée à la peau. Cet insatiable et viscéral besoin me laisse insatisfaite.
En même temps, je suis le mouvement : j’étudie avec plaisir la physique-chimie, jusqu’à la maîtrise, à l’Université d’Orsay. Comprendre la structure de la matière ! Découvrir que la matière est surtout du vide, un vide rempli de champs de forces… Fascinant !
Je me projette éventuellement mariée. En fait, la solution de facilité est de suivre ce que l’on me présente comme étant la feuille de route. Cependant en 1968, je fais partie des révoltés et, sans comprendre pourquoi, je suis prête à tout casser mais quelque chose me retient, je sens que ce n’est pas la solution. J’aurais pu devenir anarchiste, terroriste. J’ai été plutôt élevée dans la non- violence, alors je suis une non-violente, pleine de tensions. Je les évacue par le sport. Je fais de la natation et du handball, je m’entraîne plusieurs heures par semaine, et participe à des compétitions. J’ai des questions, une réelle soif de vie, une soif d’absolu, et je suis là, j’étouffe dans un moule. Il me faut sortir de cet ordinaire, il ne peut pas n’y avoir que ça.
On naît dans une famille, avec des parents, je sens qu’il y a autre chose que cette filiation-là. Je vois bien que mes parents ne peuvent pas apporter de réponses à ce qui me travaille. Ni l’école. Il me faut des réponses données par des personnes « d’un autre niveau » – car des commentaires, tout le monde en fait ! Je veux des explications qui ne viennent pas d’idées, d’opinions personnelles, de spéculations ou de réactions qui diffèrent de l’un à l’autre, mais des avis éclairés, basés sur des faits et sur l’expérience. Pour les écouter et les entendre, j’ai besoin d’être en confiance. Ce que je recherche, ce sont des réponses que je puisse mettre à l’épreuve de la vie. Ma détresse est corrigée par une grande énergie et une certaine capacité à rire. Je me nourris d’exemples de personnes qui ont affronté des défis, qui me ‘tirent vers le haut’… L’histoire contemporaine en est jalonnée, Simone Veil, Alice Sommers, Alexandre Jollien, ou encore Nick Vujici, cet homme sans bras ni jambes qui attire les foules à ses conférences si vivantes, si enlevées… Que d’exemples ! Je traverse, fœtus, bébé, enfant, des situations qui auraient pu me détruire, mais je survis. J’ai la chance d’être résiliente. C’est une grâce qui n’est peut-être pas donnée à tout le monde. L’entourage et certaines rencontres peuvent être déterminants. C’est mon expérience. Chacun fait finalement toujours ce qu’il peut, de son mieux, selon ses moyens.