« Où que nous soyons,
quoi que nous fassions,
elle est là, immense,
la part de l’enfance à l’œuvre. »
On avance dans La Nuit en Plein Jour comme un équilibriste sur un fil qui relie l’aphorisme au poème, en passant par le conte cruel et la nouvelle (auto)fictive. L’intime et le particulier y prennent une dimension universelle, folle, voire délirante…
LA NUIT EN PLEIN JOUR
Sébastien ASSELIN
Je n’oublie pas d’où je viens, j’ignore où je vais
C’est comme un rituel, une habitude que j’ai prise et que mes amis respectent, je n’y déroge pas depuis de nombreuses années déjà, le soir de mon anniversaire, j’ai besoin d’être seul, de réfléchir, d’allonger quelques lignes dans un carnet en buvant des verres pour faire le point, l’état des lieux, l’historique en tête encore à portée de main, le bilan des 365 derniers jours et de ma vie plus largement, c’est une bulle temporelle que je m’octroie et dans laquelle je m’enferme l’humeur maussade au départ, plus tard pas trop mécontent d’être parvenu à m’ouvrir, à me tirer les vers du nez, à me tirer le portrait somme toute vieillissant, s’il faut coller à la réalité sans s’épargner, sans s’éparpiller, plutôt se rassembler, se ressembler sur le papier, se montrer là aussi fidèle que possible, à défaut de l’être ailleurs, pour ne pas oublier, ne pas oublier qui l’on est ni d’où l’on vient, au moins, si l’on ignore qui l’on sera et où l’on va.
Du plomb dans les ailes
Tu cherches l’étoffe et les couleurs d’autrefois pour habiller la carcasse de plomb de tes souvenirs et rendre ceux-ci présentables aux yeux de l’enfant que tu n’es plus depuis longtemps ; tu voudrais restituer la fraîcheur et le feu de la nouveauté, l’effet de surprise et la légèreté, réveiller l’enchantement ; tu refuses de vieillir, de laisser le temps faire écran, la lumière se ternir, la mémoire défaillir, d’avancer dans le noir.
Encore
C’est un des premiers mots prononcés par l’enfant, parfois même le tout premier, et l’on s’en étonne à tort. L’enfant tend naturellement les bras vers l’objet de son désir et il l’articule avec plus ou moins de clarté, suffisamment en tout cas pour se faire comprendre. D’autres bras le retiennent et l’en écartent. C’est pour son bien : lui seul ne saurait se réfréner – du moins pas encore. Quoiqu’il s’agisse en général de nourriture, un jouet, un geste, un son, une image éveillent également en lui cet irrépressible et insatiable appétit qui, dans le contentement lorsque l’objet se reproduit, ou dans les pleurs lorsqu’il en est privé, apparaît alors comme vital. Il lui faut instamment goûter ou toucher de nouveau, répéter et faire répéter, réentendre, revoir... L’enfant foncerait vers l’objet de son désir comme dans un précipice si l’on ne lui barrait pas la route. Mais il doit aussi faire son chemin, apprendre par lui-même. Novice dans la maîtrise de la conduite et de l’allure, ignorant le sens de la mesure, le voilà vite poussé par cette faim motrice sur des rails cahotants, avec pour tout bagage les moyens du bord. À bord, quelques passagers l’accompagneront un temps donné, avant de prendre la tangente, quand d’autres survivront à sa destination. Je pense à cet enfant qui ne sera plus un enfant en arrivant, et qui, à la fin, malgré tout ce qu’il aura traversé
– j’imagine et je l’espère –, se dira encore : « encore ».
Un saut de haut vol
Pris de court, peinant à déplier mon mouchoir en papier, j’avais constellé mon écran de milliers de gouttelettes de sécrétion nasale qui, devant mes yeux ébahis, s’étalèrent pour en recouvrir la surface et diffuser les images animées de mon grand frère, trente-trois ans en arrière, aux urgences avec mes parents, qui expulsait en éternuant, à la demande du docteur, un petit ski de Playmobil en plastique qu’il s’était coincé dans le nez (allez savoir ce qui lui était passé par la tête) – archive poussiéreuse depuis belle lurette expédiée au fin fond de ma cervelle et qui venait de réaliser un saut de haut vol dans le temps.
979-10-97515-61-4
Livre broché - 175 pages
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