
« Le vent possède sa propre notion du développement personnel, il ne pense donc qu’à sa gueule. Un peu comme moi, mais j’en suis une version paisible. Je n’exerce de pression acoustique sur personne, je n’émets aucune bourrasque à l’audition de quiconque, je murmure aux oreilles des mésanges et des pages vierges ».
Une ballade au coeur des quatre éléments alliant poésie, nostalgie et humour…Le cycle d’une vie, le miroir marin d’un auteur en fin de parcours. Un regard acerbe sur notre monde décadent. Une réflexion douce et amère d’un auteur face à la fragilité de la vie… Un texte SINGULIER à quatre temps temps …La Mer en Face, Le vent de travers, À feu doux, Terre d’asile et d’argile...
Entrez dans le cycle de vie, ouvrez le livre et vous entendrez la mer…
LA MER EN FACE
Philippe MONCHO
La Mer en Face
J'ai choisi une table sur la terrasse à l'ombre d'un pin parasol, pour voir la mer en face, la regarder droit dans le bleu, pour qu'elle délaye mes pensées, après c'est vrai je me sens beaucoup mieux. Ce sont elles, mes pensées, qui vont se baigner, faire quelques brasses à ma place, elles entrent dans l'eau énormes et en ressortent très allégées. Le regard que l'on porte sur les choses déforme souvent la réalité. Le chaton se voit dans le miroir comme un lion, et parfois même, la beauté ne voit dans la glace qu'une dérangeante imperfection.
Ce ne sont pas ceux qui devraient qui hésitent et tergiversent. On sourit poliment, socialement, on ne veut pas mettre ses idées noires sur la table, on feint la bonne énergie, mais dans le fond, on est perdu au pays du doute. Chaque matin au premier café, il nous faut rebâtir l'édifice, le château de cartes, de sable, le bastion de l'estime de soi. Si le regard que l'on porte sur le jardin de notre existence ne nous plaît pas, il suffit de changer de fenêtre. Un autre angle ça ne peut pas faire de mal, mis à part à notre ego, lui bien sûr, il avait déjà ficelé son scénario. On cherche le point d'équilibre, souriant funambule, entre tenir bon et lâcher prise. Si jamais il venait à passer par là, un événement que l'on maîtrise, histoire d'avoir le sentiment que l'on a une petite emprise sur le courant qui nous emporte. Alors au petit-déjeuner, la mer en face, je soulève ma tasse comme un bon nageur, pas comme un naufragé qui va la boire.
Je souris face au désert qu'il me faudra traverser, pour revoir de l'autre côté de la table de sable et d'émeraude, l’anse d’un sourire, une voile au vent, le joli minois de la joie, le visage de l’infirmière de quart.
Écrire, ça m'empêche de dériver, ça me donne l'attitude du type qui rame vaillamment et tient bon son cap. Pour l'image c'est bien, mais je le sais, vaste est l'océan. Je sais aussi que ce n'est pas une raison pour renoncer. La mer en face, il me vient souvent des idées, des phrases, des vagues, des lignes blanches, des frises d'écolier salées, les lèvres d’un premier baiser sur une plage en été. La solitude est un château fortifié où je me planque de mon propre gré. Je referme les portes une à une derrière moi, je mets le téléphone sur répondeur, aux oubliettes, descends en scaphandre dans mes hauts-fonds intérieurs, effrayé par un moi-enfant, un revenant. Un matin, un autre, un humain, traverse mes murs comme du papier. Un coup de fil, une rencontre de hasard, une visite surprise, et alors s’affaisse mon pont-levis, ma prison vole en éclats. J’ai le sentiment d'être mis à nu, d'avoir été l'architecte de pensées étouffantes, un simple sourire est venu les redimensionner. Il offre désormais des ouvertures, une franche lumière.
Je passe donc d'un cachot sombre à cette terrasse ombragée, où la mer tout sourire fait le ménage dans mes pensées.
La cafétéria vient juste d'ouvrir, je suis le premier client de la journée, un comte Dracula tout étonné de ne pas s'être désintégré sous le néon du soleil. Un serveur souriant est venu modifier la donne, bousculer des atomes et des molécules d’air, échanger des mots bienveillants. Je redescends de ma tour d'ivoire où bouillonne de l'huile chaude, c'est mon versant volcan. Les pensées amères et brûlantes, je ne les réserve qu'à la mer. La solitude c'est le point zéro sur lequel je campe en espérant que quelqu'un, un jour, viendra me chercher.
J’ai au préalable, semé le chemin d'embûches, de pièges, de fausses pistes, je me suis éloigné de tout et de tous, assez pour être bien sûr d'être vraiment seul. Quand j’en ai confirmation, je suis alors passé de l'autre côté. Je reviens quelquefois sur la pointe des pieds, par petites touches je communique, je souris parce que ça influe, ça fait effet sur l'individu. Tout de suite après, je me rétracte, et je retourne à mes pénates. Je ne sais pas ce que c'est, non, ce n'est pas de la trouille, rien à voir. J'en vois déjà qui vont sourire, je suis trop sensible, trop empathique, trop prégnant des événements, trop photosensible. Un sourire du serveur ce matin et je bascule en pleine lumière, alors que je traîne derrière moi des heures et des heures de sombres ténèbres. L'altérité nécessite un échange d'énergie, et j'ai une faible autonomie, une petite gourde pour traverser mon propre désert, un lampion pour nous éclairer à tous sur l’univers. Oui, je consacre de l'énergie et du temps, à ramer chaque matin, pour émerger en harmonie, me dire positivement que si ça ne vient pas, si ça empire, on aura toujours le libre-arbitre de se foutre en l'air, ou de se laisser mourir. Alors on paye encore quelques jetons pour voir. Heureusement, il y a mes cahiers, les piliers du temple de l'informulable. C'est là que mes pensées se trouvent le plus confortables, je ne les stresse pas à devoir s'exprimer dans un temps sans cesse plus limité. Viens-en aux faits comme dirait l'autre. J'y viendrai en temps voulu, après avoir respiré la mer, les pins, et savouré mon premier café. Mettre ses pensées à tremper dans de l'eau de mer, je conseille. Entendre le rouleau léger s'étaler sur le sable mouillé, le voir mousser blanc effervescent, ça détend. Mes fluides s'en trouvent émoustillés d'un mimétisme de l'appareil circulatoire. Plus rien n'adhère, plus aucune idée sombre ou noire dans mes artères qui ne résiste au mouvement perpétuel. J'expire, ça va mieux, c'était une bonne idée ce café terrasse, elle est encore déserte, c'est efficace pour vidanger mes idées tordues, ni vu ni connu. Des pets discrets de la pensée, ceux qui enflent et grondent dans l'intestin de ma conscience. Ils étaient dans l'attente d'un espace pour exprimer des flatulences philosophiques de tromboniste, ils émettent un blues du tonnerre sur la partition d'une belle journée qui commence.
9782487261303
Livre broché - 180 pages
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