“ À l’origine, dans l’aube bleue mouvante, quelques troncs noirs étranglent encore la lumière fade de la vallée. Ils sont la trame d’une immense forêt pourrissante.
Là, beaucoup plus haut, dans les rides du ciel, moi, Théo, je suis derrière une fenêtre glacée, au niveau du menton d’un volcan. La Corne de Dieu.
Paisible en n, assis, au chaud, à deux mille mètres d’altitude, dans une sacrée cabane construite de mes mains, plantée sur un plateau de pierre, “je te rêve”Lita, comme un ado qui étreint les nuages.
Je vis ici avec un âne, Ferdinand. Depuis deux ans, je contemple le Monde, comme seuls peut- être, le rent les premiers Incas.
Je n’ai rien d’un ermite et pourtant je ne vois pratiquement personne. Lorsque j’ai vraiment besoin de compagnie, je dégringole en vrai capricorne le sentier sommaire que j’ai tracé de mes pas répétés sur un des ancs de la mon- tagne. Une demi-heure après, je déboule à Mayacumbra qui est le seul village à plus de cent kilomètres à la ronde... ”
C’est tout ce qui me restait de mon frère Théo. Un bout de page froissée, trois bibelots, quelques photos, le tout expédié par la police locale de ce pays lointain n’ayant jamais éveillé chez moi la moindre curiosité.
Combien de fois m’étais-je demandé ce que Théo avait bien pu y trouver pour rester si longtemps loin de nous. Faut-il être à ce point égoïste pour ne pas éprouver le besoin de serrer dans ses bras une maigre famille aimante, se contenter de loin en loin d’expédier quelques lettres ?