Tâtonnantes approches...
Commence toujours par une phrase telle, que toutes celles qui suivront voudront lui ressembler. Redoute plus que tout le remplissage, fignolage sans âme qui au fil des pages te perdra dans un dédale artificiel tout juste bon à créer l’illusion. Le mot juste est aussi précieux qu’un animal de tête conduisant ses semblables vers les plus hauts plateaux de la Pensée, là où l’oxygène est si pur que tout l’être est rempli d’une totale densité. À mon avis, le reste est à sabrer. C’est le prurit des écorchés, décor et mise en scène d’opérette au service du roi de logorrhée. Que de livres en vain jetés sur le marché ! Quant à ceux qui contiennent bribes ou parcelles de vérité, ils s’envolent légers, comme buissons de plumes, bouquets de feux follets ayant juste effleuré le Verbe- mère qui est au sommet de ce volcan, au croisement du ciel et de la terre, là où l’Esprit est en perpétuelle ébullition. Mais le point de fusion, centre des univers, d’où démarre sans cesse toute la création, nul ne peut l’approcher sous peine de brûler, irradié par une informulable et immuable beauté auréolée d’un silence adoré où enfin, sans un mot, éthéré, tout est parfaitement et à jamais partagé.
Oui, je sais, vous voulez du sensible, du tangible et du vivant et pas de ce salmigondis d’outre-tombe... Et vous avez raison. Toute histoire a ses méandres et mérite qu’on la lise. Si je suis un peu abrupt dans mes jugements, ne m’en veuillez pas trop. C’est qu’à force de patauger dans le réel avec lequel je ne me suis jamais senti très à l’aise, j’ai emprunté des voies cousines, une autre lecture du Monde criblée de signes, rêveries, paraboles et métaphores. Puisant d’abord à pleines mains dans l’infinie richesse des sentiments, l’inévitable bond vers l’au- delà, comme une acrobatie entre deux pics, me tira bien malgré moi sur des hauteurs vertigineuses dont on ne revient pas. Et depuis j’en suis là, tiraillé entre l’envie de redescendre vers la vallée des ordinaires et une insatiable soif de ce qui, plus loin, demeure inexplicable. Je sais très bien que je ne franchirai pas le seuil d’un Ciel où les mots sont nuages changeants passant sans cesse. Pourtant, têtu sonar, ivre d’ailleurs, je grimpe sans repères, d’un escarpement à un autre, vers l’au-delà, cette souple matrice me renvoyant sans cesse plus bas.
C’est le destin des hommes-dieux se prenant pour des aigles et qui de tout leur poids et de leurs lourds viscères se retrouvent à terre comme poulardes effrayées battant en vain des ailes pour fuir le carnassier qui, lui, d’un bond ne les ratera pas.